

Ô Capitaine, mon Capitaine
Cette célèbre réplique du film "le cercle des poètes disparus" est devenue culte. À travers la poésie, Monsieur Keating aura fait découvrir à ses élèves le véritable sens de la vie. Ce film de Peter Weir, sorti en 1989, aura boulversé de centaines de milliers de spectateurs et aura réactivé de goût de la poésie pour bon nombre d'entre nous.
La poésie, selon le petit Larousse, c'est l'art d'évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l'union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers.
Je m'approprie cette définition et je vous propose de découvrir mes auteurs et poèmes préférés.

Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud

Le cancre
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le cœur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert

Charles Baudelaire,
Les Fleurs du mal (1857)
Invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Le petit cheval blanc

Paul FORT
Le petit cheval dans le mauvais temps
Qu'il avait donc du courage
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière, tous derrière
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière et lui devant
Il n'y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage
Il n'y avait jamais de printemps
Ni derrière, ni derrière
Il n'y avait jamais de printemps
Ni derrière ni devant
Mais toujours il était content
Menant les gars du village
À travers la pluie noire des champs
Tous derrière, tous derrière
À travers la pluie noire des champs
Tous derrière et lui devant
Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage
C'est alors qu'il était content
Tous derrière, tous derrière
C'est alors qu'il était content
Tous derrière et lui devant
Mais un jour, dans le mauvais temps
Un jour qu'il était si sage
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière, tous derrière
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière et lui devant
Il est mort sans voir le beau temps
Qu'il avait donc du courage
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni derrière
Il est mort sans voir le beau temps
Ni derrière ni devant
Lily

On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris
Elle croyait qu'on était égaux, Lily
Au pays d'Voltaire et d'Hugo, Lily
Mais, pour Debussy, en revanche
Il faut deux noires pour une blanche
Ça fait un sacré distinguo
Elle aimait tant la liberté, Lily
Elle rêvait de fraternité, Lily
Un hôtelier, rue Secrétan
Lui a précisé, en arrivant
Qu'on ne recevait que des Blancs
Elle a déchargé des cageots, Lily
Elle s'est tapée les sales boulots, Lily
Elle crie pour vendre des choux fleurs
Dans la rue, ses frères de couleur
L'accompagnent au marteau-piqueur
Et quand on l'appelait Blanche-Neige, Lily
Elle se laissait plus prendre au piège, Lily
Elle trouvait ça très amusant
Même s'il fallait serrer les dents
Ils auraient été trop contents
Elle aima un beau blond frisé, Lily
Qui était tout prêt à l'épouser, Lily
Mais, la belle-famille lui dit
"Nous n'sommes pas racistes pour deux sous
Mais on veut pas de ça chez nous"
Elle a essayé l'Amérique, Lily
Ce grand pays démocratique, Lily
Elle aurait pas cru sans le voir
Que la couleur du désespoir
Là-bas, aussi ce fût le noir
Mais, dans un meeting à Memphis, Lily
Elle a vu Angela Davis, Lily
Qui lui dit "viens, ma petite sœur"
"En s'unissant, on a moins peur"
"Des loups qui guettent le trappeur"
Et c'est pour conjurer sa peur, Lily
Qu'elle lève aussi un poing rageur, Lily
Au milieu de tous ces gugus
Qui foutent le feu aux autobus
Interdits aux gens de couleur
Mais, dans ton combat quotidien, Lily
Tu connaîtras un type bien, Lily
Et l'enfant qui naîtra, un jour
Aura la couleur de l'amour
Contre laquelle on ne peut rien
On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d'émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris
Pierre Perret