Définition : La résilience urbaine est la capacité d’une cité et sa population à limiter les effets d’une perturbation et à récupérer ses fonctions rapidement. En 2022, 81,5 % du peuple français résidait dans une agglomération et ce pourcentage a chuté à 67% après un recalibrage des bases de calcul de l’INSEE.
Les faits sont têtus : des intempéries dévastatrices restent inexorablement inscrites dans la mémoire collective comme celles de Vaison-la-Romaine, du Grand-Bornand ou de la tempête Xynthia. Toutes ces inondations meurtrières proviennent d’un manque flagrant, de prévoyance, d’une sous-estimation des lois de la nature, une ignorance des principes fondamentaux de l’écoulement des fluides, et une incapacité à prendre en compte l’historique des précédentes catastrophes.
Rappel historique des principales tragédies
15 octobre 1987 : un ouragan d’une extrême violence frappe la Bretagne et le Cotentin avant d’atteindre les îles britanniques et fait 34 victimes, dont 15 en France. Les dégâts sont évalués à 23 milliards de francs.
Le Grand-Bornand : Une crue éclaire du Borne[1], à la suite de l’orage diluvien du 14 juillet 1987, fait 23 morts. Le plan de prévention des risques était en cours d’élaboration, mais le PLU[2] n’avait pas tenu compte d’éventuels débordements. Au bout de 10 ans de procédure, la cour d’appel de Lyon a reconnu le caractère prévisible de ce cataclysme. L’état et la commune sont condamnés à indemniser les victimes.
Vaison-la-Romaine : Le 22 septembre 1992, la crue de l’Ouvèze consécutive à de violentes pluies entraîne la mort de 38 personnes et 4 disparus. Les experts, dont Haroun Tazieff, sont unanimes pour considérer que l’urbanisation autour de la vieille ville relève d’une politique imprudente dans des zones à risques et répertoriées comme telles.
La tempête du 26 au 28 décembre 1999 : elle provoque le décès de 92 habitants avec des rafales de 198 km/h sur la façade atlantique. Une grande partie du territoire français se retrouve classé en état de catastrophe naturelle.
Automne 2014 : 30 résidents périssent dans une quinzaine d’épisodes d’inondation dans le sud de la France (des Pyrénées-Orientales aux Alpes-Maritimes).
Xyntia : Cette dépression météorologique a causé la mort de 29 personnes à la Faute-sur-Mer en Vendée. Le 12 décembre 2014, le Tribunal de grande instance des Sables-d’Olonne condamne le maire à 4 ans de prison, et son adjointe à 2 ans et 75 000 € d’amende. La cour d’appel de Poitiers confirme le jugement dans son principe, mais allège le verdict.
Alex : un déluge d'une rare violence s’abat sur les Alpes Maritimes et fait 11 morts et 9 disparus. Plusieurs semaines de pluies diluviennes, qualifiées d’historiques par les autorités, se sont déversées principalement sur les hauteurs et prive 8 000 foyers en électricité. Les dommages matériels s’élèvent à 210 millions d’euros.
15 juillet 2021 : des averses tombent sur le nord de l’Allemagne et sur la Belgique ; 150 victimes et des centaines de disparus sont à déplorer. Les dégâts sont difficilement chiffrables tellement ces déluges ont été violents et soudains. Dans le même temps, à l’autre bout de la planète, une canicule sans précédent sévit et entraîne une sécheresse mémorable et des incendies spectaculaires et dévastateurs.
Tous les enseignements ont-ils été tirés de ces catastrophes ? En toute sincérité, je ne le crois pas car les dernières inondations à répétitions depuis quelques années en sont les preuves flagrantes et je vais m'employer à vous le démontrer.
Dérèglement climatique : Dans tous les cas, la nature impose sa loi et ses droits ; lutter contre ce principe est du ressort de la crétinerie ou de l’irresponsabilité. Nous sommes résolument confrontés à un dérèglement climatique et ce phénomène va s’accélérer, déclenchant d’autres perturbations comme les canicules, les incendies, les sécheresses, les déluges, les glissements de terrain, les tempêtes, les ouragans, et différentes intempéries. Lorsque la chaleur et l’hygrométrie flirtent avec les extrêmes, l’évaporation due à la sueur ne suffit plus à refroidir le corps humain et entraîne la mort.
À la suite de graves inondations entre 1990 et 2002, des dramatiques retombées sociales, écologiques et économiques ont impacté les grandes villes européennes comme Prague, Dresde, Cologne, Breslau, Varsovie. C’est ainsi que la Commission européenne a demandé à chaque état de mettre en œuvre une directive sur la prévention et la gestion des conséquences négatives des territoires, au nom de l’attractivité et de la compétitivité de l’Europe.
Le débordement direct d’une rivière ou d’un fleuve de son lit majeur est la principale catastrophe que tout le monde redoute. La submersion par remontée de la nappe phréatique est plus sournoise, car souvent imprévisible, et la décrue est lente. Lorsque son niveau dépasse le toit de l’aquifère[3], l’eau investit les caves par capillarité puis poursuit son assaut.
Tous ces évènements qui se sont abattus sur notre pays et leurs conséquences dramatiques doivent nous contraindre à reconsidérer l’écologie urbaine. La ville est un écosystème au sein duquel la qualité de vie de ses habitants est essentielle, améliorable, et coexiste avec toutes les espèces du monde du vivant.
Ingénierie hydraulique
1 — La loi de modernisation de l’action territoriale et d’affirmation des métropoles dite MAPTAM du 27 janvier 2014 a créé une compétence exclusive et obligatoire au profit du bloc communal pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). Elle englobe l’aménagement et l’entretien d’un bassin, d’un cours d’eau, d’un lac et son accès, la défense contre les raz de marée et la protection et la restauration des sites et des écosystèmes ainsi que des formations boisées riveraines. Pour le financement, une taxe spécifique et facultative peut être levée par les élus avec délibération. Les ressources qui en découlent sont affectées exclusivement aux dépenses de fonctionnement et d’investissement du ressort de ladite loi.
2 — L’état transfère la gestion des digues[4] aux autorités « gémapiennes[5] » à partir du 29 janvier 2024. C’est une construction ancestrale efficace, mais en cas de rupture, la vague déferlante peut être dévastatrice, tel un tsunami. Pour rappel, celles de Vendée ont cédé par suite de la conjonction de trois phénomènes : la tempête Xantia, les grandes marées à fort coefficient (102) et la pleine mer.
3 — Les eaux pluviales se régissent à plusieurs niveaux ; le ruissellement, le stockage pour des utilisations multiples, la régulation de l’évacuation, la captation des déchets et polluants. À l’instar de ce qui se pratique pour la distribution du gaz, les tuyauteries représentent une indéniable capacité d’accumulation temporaire et doivent être surdimensionnées. Des villes ont innové et réalisé un système de pilotage centralisé informatisé afin de gérer l’élimination des eaux (vannes à guillotine, bassins de rétention, maillage des réseaux, capteurs, caméras, filtres, stations de pompage, etc.).
4 — L’hydrologie, les écosystèmes et les élus locaux
Pour bien anticiper les risques et adopter les mesures appropriées, des connaissances en hydraulique, en hydrologie, en mécanique des fluides et des écosystèmes aquatiques sont souhaitables. Comme c’est rarement le cas, les bureaux d’études spécialisés arrivent à la rescousse et l’AMO[6] entre en action. Cette discipline ne passionne guère les élus, car les dossiers sont difficiles à gérer, et les circuits administratifs sont complexes.
Des institutions comme l’Établissement Public Loire, créé par Jean Royer,[7] aident les EPCI[8] et les entreprises à bien diriger la prévention des inondations sous forme de diagnostics et de préconisations. Pour mémoire, cet établissement gère également, pour le compte de l’état, la Loire et les barrages de Naussac et de Villerest conjointement avec EDF.
Entretien des cours d’eau : Pour mémoire, l’article L. 215-14 du Code de l’Environnement prévoit que : « l’entretien continuel a pour objet de garder le cours d’eau dans son profil d’équilibre, de permettre l’écoulement naturel et de concourir à un état écologique honorable ». On comprend aisément pourquoi il y a tant de catastrophes, car si l’on interprète cet article à minima, le plus simple est de ne rien faire.
Les deux schémas ci-dessous, réalisés par l’ONEMA[9], résument les principales opérations de maintenance et d’intervention sur un cours d’eau. Les embâcles, les roches et les déchets de tous ordres entravent l’écoulement des eaux. Le profilage des piles de ponts laisse bien souvent à désirer, et la dimension du tirant d’air est fréquemment sous-estimée.
Le nettoyage et le curage des lits se font trop irrégulièrement, voire pas du tout et le sapement fragilise les berges mais la ripisylve[10] les protège. Les racines des arbres retiennent la terre, les formations buissonnantes et herbacées forment un réservoir de la biodiversité et l’ombrage minimise le réchauffement des eaux.
Les autorisations pour procéder à l’évacuation des sédiments amalgamés aux mauvais endroits sont difficiles à obtenir au motif que la nature doit faire son œuvre. La séparation des réseaux d’EP et d’EU est loin d’être terminée, ce qui est scandaleux. Les herbes invasives[11] deviennent un véritable fléau écologique et le coût de l’arrachage et de l’enlèvement est exorbitant.
Soyons SAGE[12] : la loi du 3 janvier 1992 décrète que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation et crée une planification concertée de la politique de l’eau. Le SDAGE[13] s’applique à l’ensemble du bassin hydrographique (voir la gravure à la fin de cet article). Il contient les orientations principales de la gestion de l’eau, mais aussi des prescriptions techniques spécifiques à mettre en œuvre. Le SAGE[14] décline ces grandes orientations sur un territoire plus restreint et les adapte aux enjeux locaux.
Le bassin versant : la gravure suivante représente schématiquement en relief un exemple de bassin versant. Vu l’emprise territoriale, le terrain escarpé et l’hydrologie, la probabilité d’une catastrophe lors d’un déluge est envisageable.
Quand la mer monte, j’ai honte[15] : passer sous silence l’élévation du niveau de la mer et les risques de submersion marine serait irresponsable à une période où ce phénomène commence à faire des ravages. Entre 1901 et 2018, la hauteur moyenne mondiale est de 20 cm et l’évaluation pour 2050 serait de 30 cm et l’aggravation et l’accélération sont à craindre dû à la conjugaison de plusieurs perturbations issue du réchauffement climatique :
L’expansion thermique des océans ;
Les glaciers continentaux ;
La modification du cycle de l’eau ;
Le Groenland et l’Antarctique.
Le littoral français est la première destination touristique avec 5 500 km de côtes en métropole, 1 948 km de plages sur 4 façades maritimes, 473 ports de plaisance, 5000 km de chemins de randonnée et 3 000 km d’itinéraires cyclables[16]. Les risques écologiques, sociaux et économiques sont colossaux et pour les appréhender, des logiciels de simulations de l’inondabilité, en réalité augmentée et en trois dimensions, permettent de prendre conscience des dangers encourus. À ce jour, les actions ne sont pas à la hauteur des menaces et de leurs conséquences.
La belle baie : les tempêtes ayant eu raison des défenses naturelles de la baie de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure, Napoléon III ordonna la construction de trois digues pour lutter contre les assauts des flots[15]. Pour sauvegarder le rivage plus au sud, un remblai abrite les maisons du bord de mer et des passerelles permettent aux résidents d’accéder à la plage directement. Cet exemple historique ouvre le champ des possibles sans pour autant déprécier le patrimoine existant, bien au contraire. Toujours au Pays basque, la ville de Biarritz a entrepris des travaux titanesques pour consolider la côte sauvage et en agençant des espaces verts et des promenades arborées.
La loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral concerne 1200 communes, des lacs, d’estuaires, de deltas menacés par l’érosion, la submersion et la préservation de la biodiversité[16].
Quelques données statistiques[17]
64 % des Français de la métropole habitent dans des lieux propices aux inondations et n’ont pas conscience du danger ;
6 600 communes en moyenne font l’objet chaque année d’une reconnaissance d’état de catastrophe naturelle et 40,7 Milliards d’euro d’indemnités seront versés par les assureurs sur la période 1982-2020 ;
18,3 millions de Français résident dans des zones prédisposées à un débordement de cours d’eau. Dans ce cas, le diagnostic bâtimentaire s’impose lors de la cession d’un bien.
1,5 million de Français sont exposés aux phénomènes de submersion marine ;
10 226 villes sont couvertes par un PPRI (à l’exclusion de celles du bord de mer) ;
442 localités sont dotées d’un schéma de protection des menaces du littoral ;
221 programmes d’actions de prévention des inondations sont labellisés depuis 2011.
L’observatoire national des risques naturels : créé en 2012, à la suite de la tempête Xynthia de 2010, l’observatoire national des risques naturels a pour objectif de concourir au renforcement de la connaissance des aléas et leurs conséquences socio-économiques. Cette ambition se concrétise par la mise à jour constante d’une quarantaine d’indicateurs (exposition, typologie et ampleur des phénomènes, dommages, prévention). Les travaux d’analyse et de prospective sur ces sujets sont également disponibles.
Conclusions : désormais, la loi GEMAPI délègue les compétences de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations aux blocs communaux.
Plusieurs doctrines s’opposent pour l’entretien des cours d’eau : une approche écologique, une protection halieutique, une organisation sécuritaire, ou une préservation de la navigabilité et des activités nautiques.
Avoir supporté un dégât des eaux dans son existence légitime la sensibilisation à leurs effets préjudiciables.
La mémoire collective et l’historique permettent de bien comprendre ces phénomènes naturels envers lesquels il est impossible de résister.
En revanche, l’évaluation de la vulnérabilité sociale, physique et économique est de notre responsabilité et consiste à les diminuer, ou les supprimer en adoptant les dispositions appropriées. La clairvoyance, la lucidité et le courage sont des atouts indispensables pour prendre les décisions adéquates, mener les actions en conséquence et en mesurer l’efficacité à court, moyen et long terme.
[1] Le Borne est une rivière, affluent de l’Arve en rive gauche, et qui coule dans le département de la Haute Savoie. Son bassin versant est de 100 km2, sa longueur de 33km et son débit moyen est de 3,14 m3 à Saint-Jean-de-Sixt. Ces données géographiques sont intéressantes et permettent de mieux comprendre les évènements.
[2] PLU = Plan Local d’Urbanisme
[3] Aquifère = terrain perméable, poreux, permettant l’écoulement d’une nappe souterraine et le captage de l’eau.
[4] La Digue est un ouvrage continu longitudinal par rapport au sens de l'écoulement de l'eau, généralement de grande longueur, surélevé par rapport au terrain naturel et destiné à s'opposer au passage de l'eau ou à la canaliser. (France digues)
[5] Référence acronymique à la loi Gémapi
[6] AMO = Assistance à Maîtrise d’Ouvrage.
[7] EPL = Établissement Public Loire, anciennement EPALA, a été créé par Jean Royer et fédère toutes les collectivités riveraines de la Loire. Il gère avec EDF, les barrages de Naussac sur l’Allier et Villerest sur la Loire.
[8] EPCI = Établissement Public de Coopération Intercommunale est le nom donné aux structures intercommunales dite également communauté de communes.
[9] ONEMA = Office National de l’eau et des milieux aquatiques
[10] La ripisylve correspond à toute la végétation installée sur la berge d’un cours d’eau. Ref : le syndicat mixte du bassin des Sorgues
[11] La jussie, l’hydrocotyle fausse renoncule, le myriophylle
[14] SAGE = Schéma d’aménagement et de gestion des eaux
[15] Référence à la célèbre chanson de Raoul de Godewarsvelde. Il prétendait que sa voix rocailleuse était due à une laryngite de comptoir.
[16] Données fournies par le site www.entreprises.gouv.fr
[17] Données recueillies sur le site www.saint-jean-de-luz.com
[18] Loi promulguée le 3 janvier 1986 et la loi ELAN modifie les articles 42 à 45.
[19] Données fournies par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
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