Avant-propos - Lors de la campagne électorale municipale de 2014, je me suis renseigné sur les politiques publiques en matière de Transport en Commun (TeC dans la suite des écritures) dans les grandes villes de France, et d’Europe. La gratuité promise par certains candidats m’a interpelée, et n’ayant aucune doctrine sur ce sujet, j’ai entrepris une analyse critique de cette mesure. Je vous fais part du résultat de mes recherches, des recommandations éclairées des spécialistes et de mes conclusions.
Les principes de base
L’utilisation des TeC sans bourse déliée a pour corollaire la prise en charge de son coût par le budget des collectivités, donc par la fiscalité ;
Dans notre société consumériste, ce qui est gratuit devient rapidement dépourvu de toute valeur et de respect ;
La prestation payante positionne l’usager en client et l’opérateur en fournisseur. Ainsi, une relation d’échange commercial positif s’instaure ;
Pourquoi se priver de la participation des personnes solvables ?
Gérer, c’est choisir - Aubagne, Compiègne, Châteauroux, Vitré, Gap, et Noyon ont opté pour la gratuité des TeC. L’impact de cette mesure n’a pu être évalué à sa juste valeur, car simultanément l’offre de service a été améliorée. Les élus de la ville de Châteauroux sont satisfaits de leurs décisions et considèrent que les résultats obtenus permettent de rendre ce service public plus attractif grâce à la refondation des lignes et à la rénovation urbaine.
Inversement, les villes de Castellón en Espagne ou Bologne en Italie ont renoncé à la gratuité pour donner la priorité au développement du réseau et à la qualité de l’offre. En revanche, de grandes agglomérations ont abandonné cette pratique en raison de son coût excessif comme Hasselt en Belgique, Sheffield et Rotherham en Angleterre, Seattle, aux USA. De plus petites villes en ont fait autant, à savoir, Templin et Lübben, en Allemagne, Trebon, en République tchèque, Kristinehamm en Suède. Bologne dispose actuellement d’un remarquable réseau de TeC qui n’aurait jamais vu le jour sans le renoncement à la gratuité. D’autres critères sont à prendre en compte comme :
Les coûts liés à la billetterie, à l’encaissement, au contrôle et à la fraude sont à intégrer dans la gestion ;
4 chômeurs sur 10 ne possèdent aucun moyen de déplacement ;
Un progrès de 1 % de son efficacité élargirait de 1,39 % à 2,25 % l’employabilité et améliorerait de 0,24 à 0,56 % la productivité de l’agglomération.
La répartition des ressources d’une métropole comme celle de Tours Val de Loire s’établit ainsi :
Les employeurs (Taxe Versement Transport) 46 %
Les collectivités territoriales (impôt) 35,5 %
Les voyageurs (recette commerciale) 16,5 %
L’état 2 %
Expérimentation - Grâce à un renforcement de l’offre et de l’information, Grenoble a augmenté la fréquentation des usagers de 25 % en 3 ans. Ainsi, 58 millions de voyageurs dont 25 millions d'usagers du tram ont bénéficié de ce service payant.
Attractivité - Elle est due, selon une enquête de Statista Research Department, à la simplicité d’utilisation, à la vitesse commerciale, au tarif, au confort, à la sécurité, à la ponctualité et à l’impact sur l’environnement. D’autres critères interviennent comme la proximité des arrêts avec le domicile et le lieu de travail, l’accessibilité pour tous, la numérisation des horaires, des itinéraires et des modes de paiement.
Solidarité - Une meilleure équité peut assurer le droit à la mobilité pour tous, elle peut même impliquer la gratuité pour les plus démunis. C’est dans cet esprit que La Métropole de Tours Val de Loire a opté pour une proportionnalité au quotient familial. Pour la ville de Strasbourg, l'Institut Montaigne indique qu'"Actuellement, 55 % des abonnés entre 4 et 18 ans bénéficient d'un tarif solidaire, dont le prix moyen peut être estimé à 8,1 € par mois (il existe trois types de tarif solidaire calculé selon le quotient familial : 13,6€ par mois, 7,3€ par mois ou 3,4€ par mois).
Taxe Versement Transport (TVT) - toutes les entreprises dont l’effectif est supérieur à 9 personnes y sont assujetties ; L’URSSAF la recouvre et la reverse aux organismes habilités à la recevoir. Les périodes comme celles que nous venons de traverser avec la COVID impactent sérieusement son développement. Les villes et agglomérations bénéficiant d’une activité très touristique, peuvent porter leur taux au maximum légal de 2 %. L’implantation du tramway dans la cité favorise la recomposition urbaine, notamment avec l’aménagement de la voirie, des parkings relais, des trottoirs, des espaces verts et à la création de commerces.
Le courage politique - La notion de gratuité dissimule les problèmes de fond et berne le citoyen. Ce sujet, tel un serpent de mer, ressurgit à chaque campagne électorale municipale. L’argumentaire utilisé n’a jamais été persuasif et frise la démagogie. Notons que cette pratique évite de prendre des mesures impopulaires comme le stationnement payant, la piétonisation du centre-ville, la réservation des voies de bus (site propre) et les ZFE (zones à faible émission).
Dualité entre transport privé et public - La somme totale dépensée par les ménages français pour les déplacements, atteint 147 Mds € dont 126 à titre individuel, et 20,6 pour le collectif. « Ainsi un foyer médian consomme davantage pour sa voiture que pour les TeC ; le défi est donc de faire reporter une partie des frais affectés à l’automobile vers les TeC », conclut la FNAUT[1]. Une enquête quantitative menée par l’IWERF[2] en mai 1996 démontrait que la mauvaise image des TeC était un frein à leur utilisation : « Considéré comme une obligation, son usage ne suscite aucun plaisir. Au contraire, la voiture représente l’espace privé par excellence ». (Revue de presse — selon le site actu-environnement)
Fréquentation des TeC et gratuité - Le Predit[3] notait : « À très court terme, la gratuité des TeC peut faire exploser la fréquentation, mais elle diminue après. En comparant des villes d’une taille proche, il n’y a aucune corrélation directe entre le niveau de prix et l’usage », poursuit le rapport. La qualité du service (amplitude, fréquence, régularité) serait très déterminante grâce à une optimisation du report modal.
Jean Sivardière, vice-président de la FNAUT considère que : la gratuité renforce la fracture territoriale entre les villes qui la pratiquent avec une offre médiocre et les métropoles, qui proposent une prestation correcte et où la voiture régresse.
Conclusion - la gratuité n’est pas un critère déterminant pour développer un réseau de TeC performant. L’investissement, les usages, l’image et la communication constituent les quatre principaux leviers pour assurer une meilleure fréquentation. L'optimisation des délais d’attente réduira les inconvénients de la rupture de charge. Dans un futur très proche, les navettes automatisées et combinées avec la Smart City, proches du modèle de l'automobile, complèteront l'offre.
Ainsi, les transports en commun seront à reconsidérer afin d’être intégrés dans un complexe multimodal optimisé, c’est-à-dire rapide, confortable, sobre, numérisé et équitablement accessible à tous. Dans ce nouveau contexte, les choix urbanistiques seront déterminants dans la politique des déplacements.
[1] Fédération Nationale des Associations d’Usagers des TEC
[2] Institut wallon d’études, de recherches et de formation
[3] Le programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres
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